29 mai 2010

Visite de la base

Nous avançons toujours davantage dans l’hiver. Les températures tournent désormais autour de -20°C, la luminosité est réduite, des congères se forment régulièrement un peu partout. Il arrive que l’on ne voit pas le soleil de la journée, quand il y a des nuages.

Le soleil semble sur le point de se coucher, et il n’est que 13h30 !

Les mâles empereurs continuent d’incuber, se regroupant en tortues.
Quelques femelles pondent encore, mais la plupart sont déjà parties en mer.

Couple et son œuf, dans le soleil couchant

De nombreux œufs perdus jonchent le sol


Les 2 derniers poussins pétrels géants ont enfin appris à voler et semblent partis. De temps à autre, nous croisons un ou plusieurs pétrels antarctiques, visiteurs occasionnels ressemblant aux damiers du Cap. Quelques pétrels des neiges errent autour de la base, nous finissons par nous demander s’ils vont un jour quitter l’île.

Pétrel antarctique

Les quelques heures de jour nous permettent de réaliser encore de bien belles balades. Les préparatifs de la mid-winter se mettent tout doucement en place. Nous commençons à monter une pièce de théâtre de Feydeau, je m’exerce au piano, au jonglage…

Lever de lune sur le glacier

Intérieur d’une crevasse

Je vais aujourd’hui vous présenter un peu plus en détail la base de Dumont d’Urville. Il serait temps, me direz-vous ! Alors, sur la photo ci-dessous, nous pouvons observer les bâtiments suivants :

La base vue du haut du mât iono

- 1 : le dortoir des hivernants, appelé également « 42 ». Bâtiment à un étage, équipé de 2 salles de bains et de 4 sanitaires, contenant également le bureau de la DisTA et tenant accessoirement lieu de « coop » (le seul «magasin» de la base). L’ambiance y est toujours calme, car à n’importe quel moment de la journée quelqu’un est susceptible d’y dormir (le boulanger, celui qui était de quart de nuit à la centrale…) ;
- 2 : le séjour, lieu de vie central de la base. On y trouve la cuisine et l’office, une buanderie, le local poubelle, des sanitaires, une salle à manger avec bar, une salle vidéo et une salle de loisir (avec bibliothèque, billard, babyfoot et jeu de fléchettes). Deux sas permettent d’enlever tout son équipement contre le froid pour être à l’aise. Certains y adoptent même les charentaises. C’est un lieu agréable où quelle que soit l’heure de la journée ou de la nuit, on trouve quelqu’un pour prendre un café et discuter ;
- 3 : le bâtiment « Géophy » abrite les bureaux de l’informaticien (« le Géophy »), du « sismo-magn » et du « lidar », ainsi que le local de la radio Skuarock, le labo photo et la salle musique ;
- 4 : ce bâtiment contient le BT (bureau technique), le bureau et l’atelier météo, la salle de sport ;
- 5 : l’abri météo, c’est ici que le ballon de radiosondage est gonflé chaque matin ;
- 6 : le Lidar, d’où le laser vert dont je vous ai déjà parlé est tiré lors des nuits sans nuages ;
- 7 : le garage et la menuiserie ;
- 8 : le magasin général (MG) où sont stockés divers équipements ;
- 9 : le laboratoire de glaciologie et chimie de l’atmosphère, lieu de travail des deux « glacio » ;
- 10 : la gérance postale (GP) et le bureau des télécommunications ;
- 11 et 12 : les deux frigos, respectivement « -20 » et « +4 » ;
- Caché derrière le 12 : la centrale, qui fournit la base en électricité et eau potable ;
- 13 : le siporex, qui est l’atelier du mécanicien de précision, du plombier et de l’électricien ;
- 14 : Biomar, le lieu de travail des biologistes ;
- 15 : le hangar du Lion. La piste du Lion est séparée de l’île des pétrels par un chenal. Cette piste avait à l’origine été construite pour servir de piste d’atterrissage pour des avions. Aucun avion ne s’y est jamais posé. Elle est source de polémique car beaucoup estiment qu’elle n’aurait jamais dû être réalisée, l’impact sur le paysage et l’écosystème étant trop important. Le hangar permet durant l’hiver de stocker les engins qui servent  l’été. Pendant l’été, il sert de lieu de stockage et de travail pour différentes activités techniques ;
- 16 : les caves sismo et abris magn. Dans cette zone sont réalisées les mesures de magnétisme et d’activité sismique.

D’autres bâtiments un peu excentrés ne figurent pas sur cette photo :
- L’abri côtier : à partir de Biomar, en continuant la passerelle, on arrive à l’abri côtier, qui borde le chenal du Lion. Il sert à entreposer le matériel en lien avec l’activité estivale du sea-truck, ainsi que le matériel de plongée ;
- Le dortoir été : en s’éloignant de la base vers le bas de la photo, en suivant un chemin de corde dans les cailloux, on finit par arriver au dortoir été. Il permet en été de loger une partie des campagnards d’été.
En hiver, il est fermé ;
- Le mât iono : proche du dortoir été, ce mât de plus de 70 mètres de haut servait jadis à des activités scientifiques d’étude de la ionosphère. Désormais, il fait tache dans le paysage. Seuls quelques hivernants sont autorisés à y monter pour des motifs professionnels ;
- Le hangar bleu : il héberge certaines activités techniques pendant l’été, et sert essentiellement de lieu de stockage en hiver ;
- La base Marret : petit chalet très mignon, lieu historique où ont hiverné les 7 membres de la TA5 ;
- Le hall fusée : il servait jadis de lieu de lancement de « fusées » utilisées pour des études de l’atmosphère. Actuellement il sert de lieu de stockage, et abrite également des pompes de prélèvement d’air (mesures en chimie de l’atmosphère).

Enfin, de petits shelters disséminés sur l’île servent à entreposer divers matériels, où à réaliser des mesures.

Idée reçue n°6 : les pingouins habitent en Antarctique.

Bon, là je ne vous apprends en théorie pas grand-chose, mais je ne pouvais pas continuer plus en avant sans rappeler LA grande idée reçue sur l’Antarctique. A ceux qui n’ont pas suivi ce blog depuis le début, ce paragraphe apprendra peut-être quelque chose. Pour les autres, une piqûre de rappel n’est pas forcément inutile… Je vous invite donc à jeter un œil au billet du 18 octobre dans lequel je détaille les différences entre les manchots et les pingouins, et les origines de la confusion… Donc en résumé, en Antarctique habitent les manchots, les pingouins vivent eux dans l’hémisphère nord.

Tous les manchots n’habitent cependant pas en Antarctique, seules 4 espèces se reproduisent sur ses côtes. Le manchot empereur (Aptenodytes forsteri) et le manchot Adélie (Pygoscelis adeliae), ça vous le saviez.
Ils se reproduisent sur tout le pourtour du continent, ainsi que sur certaines îles antarctiques. Le manchot papou (Pygoscelis papua) et le manchot jugulaire (Pygoscelis antarctica) en revanche se cantonnent à la péninsule antarctique (et aux îles antarctiques). Le manchot macaroni (Eudyptes chrysolophus) peut occasionnellement se reproduire en péninsule antarctique.

13 espèces et 2 sous-espèces de manchots peuplent les îles subantarctiques, îles antarctiques, côtes de l’Amérique du sud, de l’Afrique, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande :
- Les « manchots à crête » (genre Eudyptes) : gorfou sauteur (Eudyptes chrysocome, présents sur de nombreuses îles subantarctiques de l’Océan Indien et Atlantique), gorfou sauteur nordique (Eudyptes chrysocome moseleyi, Tristan da Cunha et Gough, Amsterdam, Saint-Paul) gorfou de Schlegel ou gorfou royal (Eudyptes schlegeli, île Macquarie), gorfou macaroni (Crozet, Kerguelen, îles Shetland sud, îles Falkland, Georgie du Sud, Sandwich sud, Orkney sud…), gorfou des îles Snares (Eudyptes robustus, îles Snares), gorfou de Victoria (Eudyptes pachyrhynchus, Nouvelle-Zélande et îles avoisinantes), gorfou de Sclater (Eudyptes sclateri, Bounty et Antipodes) ;
- Les « manchots nordiques » : manchot du Cap (Spheniscus demersus, côtes Namibiennes et sud-africaines), manchot de Magellan (Spheniscus magellanicus, Chili, Argentine, îles avoisinantes, îles Falkland), petit manchot bleu (Eudyptula minor, côtes et îles avoisinants le sud de l’Australie, la Tasmanie, Nouvelle-Zélande, Stewart et Chatham), manchot à nageoires blanches (Eudyptula minor albosignata, sud de la Nouvelle-Zélande) manchot des antipodes (Megadyptes antipodes, sud de la Nouvelle-Zélande et îles avoisinantes) ;
- Le manchot Royal, seconde espèce la plus grande, du genre Aptenodytes tout comme le manchot empereur (Aptenodytes patagonicus, îles du Prince Edward, Crozet, Kerguelen, Heard, Macquarie, Falklands, Georgie du Sud, Sandwich sud).

Enfin, 2 espèces ne se reproduisent pas en milieu antarctique ou subantarctique :
- Le manchot de Humboldt (Spheniscus humboldti, côte ouest de l’Amérique du sud, du Pérou au 35e parallèle environ) ;
- Le manchot des Galapagos (Spheniscus mendiculus, îles Galapagos).

En 2007, les seules espèces de manchots antarctiques et subantarctiques ne figurant pas en liste rouge de l’UICN étaient le manchot royal, le manchot empereur, le manchot Adélie, le manchot jugulaire et le petit manchot bleu. Toutes les autres espèces sont considérées comme pratiquement menacées, vulnérables ou en danger d'extinction.

Ceux qui désirent en savoir plus pourront consulter l’ouvrage suivant : « A complete guide to Antarctic Wildlife » (Adoram Shirihai), véritable mine d’informations.

Magnifique halo autour de la lune, sur le Cervin et le mont Rose, on aperçoit la base sur la gauche

22 mai 2010

Nouvelles en vrac...

Depuis mon dernier message, rien de bien neuf.

La banquise commence à regeler. Je trépigne d’impatience à la pensée des longues sorties qui nous attendent… On se contente pour l’instant de balades à la manchotière ou vers Prud’homme, situé à 5 km de la base, ce qui est déjà agréable. Suite aux dernières chutes de neige, les raquettes étaient même de sortie.

Les jours n’en finissent plus de raccourcir. Nous perdons quotidiennement 8 minutes de lumière : le soleil se lève désormais vers 10h30 pour se coucher vers 14h30, nous laissant seulement 4h de jour… Il est si bas sur l’horizon qu’à midi, il arrive qu’on se demande s’il s’est levé, tant la lumière est faible… Forcément, avec une nuit si longue, on a l’impression qu’à 9h il est 6h, et qu’à 20h il est minuit. Avec tout ça, pas facile d’avoir un rythme de sommeil correct…

Un joli berg qui s’est déplacé dans la glace, étonnant, non ?

Couple d’empereurs dans le blizzard

Les empereurs continuent de pondre. Les femelles semblent toutes perturbées par la faible étendue de la banquise, et certaines restent de longues heures (voire une journée) au bout du Lion, à la limite de la glace, avant de se jeter à l’eau.

Femelles en pleine hésitation…

J’ai eu l’occasion de voir quelques passations d’œuf heureuses, ou malheureuses… En effet, certains manchots sont moins habiles que d’autres... Ainsi j’ai pu observer une femelle essayer de passer son œuf à son partenaire, en le faisant rouler par terre. Le malheureux n’a jamais réussi à le récupérer, soulevant les pieds comme s’il avait déjà un œuf, et essayant d’avancer sur l’œuf situé à terre. La femelle a repris l’œuf quelques minutes afin de le réchauffer, et a réessayé.

Peine perdue, pas plus de succès. Elle a fini par abandonner l’œuf, et son partenaire, pour rejoindre la tortue la plus proche. L’œuf est resté sur la banquise, finissant par être fissuré par le froid. En observant cette scène, nous étions tous tendus, à trépigner, « ça y est, il va y arriver ! », nous aurions tant aimé pouvoir l’aider ! Mais non, l’œuf a fini par rejoindre les dizaines d’autres qui gisent sur la banquise, encastrés dans la glace puis recouverts par la neige.

Couple avant le départ de la femelle en mer

Mâle resté seul pour incuber son œuf

Sinon je voulais vous parler un petit peu de la gestion des déchets sur la base. En effet, si en métropole le tri sélectif marche avec plus ou moins de succès, ici il est incontournable. Différentes poubelles sont donc à notre disposition :
- Papier/carton pour tout ce qui peut être brûlé sans polluer : un jour sur deux, l’ensemble des sacs de papiers et des cartons sont brûlés dans l’incinérateur entre 10h et 12h. Il y a donc les « jours feux », et les « jours sans feu », pour ne pas perturber les analyses d’air effectuées par le laboratoire de chimie de l’atmosphère. Les cendres sont ensuite renvoyées en Australie pour être traitées.
- Plastique : il est compressé et envoyé en Australie pour traitement. Gare au tri mal fait, les australiens ne plaisantent pas avec ça, et la note devient tout de suite plus salée…
- Aluminium
- Acier
- Piles
- Verre : non cassé seulement, sinon ça va dans composite. Et pas de porcelaine !
- Composite : pour les objets composés de différents matériaux non dissociables, l’électronique, ce qui ne va nulle part ailleurs…

Enfin, les restes de nourriture et les eaux grises sont broyés et jetés à la mer, l’impact environnemental étant moindre.

L’incinérateur

Mais attention, il s’agit d’éviter les pièges… Le tissu ça brûle, mais ça va dans composite, pas dans papier. Les canettes sont parfois en aluminium, parfois en acier, gare aux erreurs… Un aimant permet de faire la différence en cas d’hésitation. Tout le monde s’est un jour ou l’autre retrouvé devant l’alignement de poubelles, un déchet quelconque à la main, en pleine réflexion... Prenons un papier de papillote par exemple. « Ah, ça c’est de l’alu » « Non c’est du plastique ! » « Vous pensez pas que ça brûle ? ». Bref, chacun donne son avis et argumente, avant qu'en général quelqu'un aille interroger le chef technique... ce qui est plutôt drôle quand on y pense, pour un simple papier de papillote. Voilà, ici encore plus qu’ailleurs, on se rend compte que faire le tri sélectif, ça n’est pas si contraignant !

Idée reçue n°5 : En Antarctique, il fait toujours très froid.

Quand on pense « Antarctique », on pense froid polaire, blizzard, tempête de neige… Ce mot renvoie immédiatement à la notion de froid. Certes il n’y fait pas chaud, il serait absurde de le nier. L’altitude, l’isolement par le courant océanique circumpolaire antarctique et le pouvoir réfléchissant de la glace font de ce continent le plus froid de tous. C’est d’ailleurs sur ce continent que la température la plus basse a été enregistrée : -89,3°C à la base russe de Vostok.

A l’intérieur de l’inlandsis, il fait donc froid. La moyenne annuelle est par exemple de -20°C à 1000 m d’altitude, et de -55°C à Vostok (3500 m d’altitude).

En revanche, les températures sont plus « douces » sur la côte. Prenons l’exemple de DDU : la température moyenne annuelle tourne autour de -12°C, rien d’extraordinaire… Il n’est pas rare en été que le thermomètre franchisse la barre des 0°C. Cet été la température a même été positive durant 7 jours consécutifs, atteignant un maximum de +7.7°C. A cette température, en plein soleil, il est loin de faire froid… En été il n’était donc pas rare de voir ponctuellement des gens se promener en t-shirt, et il m’arrivait de temps en temps de sortir en simple pull. Certains se risquent même à de petites baignades…

Il faut cependant relativiser ces températures « élevées » en prenant en compte l’effet refroidissant du vent. Il souffle d’avantage sur la côte que dans l’intérieur du continent, avec fréquemment des rafales à plus de 100 km/h, de temps en temps des pointes à plus de 150 km/h, et un record à DDU de 320 km/h. Pour vous donner une idée, avec un vent de 60 km/h (ce qui est assez fréquent ici), quand il fait -1°C la température ressentie est tout de même de -20°C, et quand il fait -20°C elle est de -51°C.

En Antarctique il fait donc globalement froid, mais en été sur la côte il fait moins froid que dans certaines régions de France en hiver… Nous recevons parfois en décembre, des messages provenant de la métropole :
« Il a fait -15°C chez nous, mais c’est ridicule comparé aux températures que tu dois avoir ! »… Eh bien vous faites alors fausse route, en décembre, il fait rarement -15°C à DDU !
Zut, encore un mythe qui s’effondre… :)

15 mai 2010

Des tortues en Antarctique !

Un petit billet pour vous donner les dernières nouvelles.
Les empereurs continuent à pondre. Les femelles partent en masse, les mâles restant pour couver.


Les jours se font toujours plus courts, le soleil se lève maintenant après 9h et se couche avant 15h30. Nous commençons à évoquer la mid-winter, période de fête entourant le 21 juin (ce qui correspond à la moitié de l’hivernage), et fêtée sur tout le continent, ainsi que dans les îles subantarctiques.

Nous cumulons les jours de mauvais temps, la polynie est maintenant au pied de l’île. Nous habitons donc de nouveau au bord de la mer. Vous me direz, ce sont les femelles empereurs qui doivent être contentes, elles n’ont désormais plus beaucoup de chemin à faire pour rejoindre l’eau libre !


Les températures oscillent autour de -20°C. Mine de rien, je sens qu’une certaine routine commence à s’installer. La base tourne bien, chacun prend ses habitudes. Des évènements ponctuels nous permettent de mettre de l’animation dans la vie de la base : une soirée « plage » où tout le monde vient en maillot de bain, short ou paréo, une sortie à la journée pour se rendre à Prud’homme, une projection au séjour, une présentation d’un hivernant…


Je vais aujourd’hui vous parler des tortues en Antarctique. Rien à voir avec l’animal à carapace. Il s’agit, encore une fois, des empereurs… Tout le monde ou presque a déjà entendu parler des tortues d’empereurs.

Comme vous le savez, les manchots empereurs se reproduisent en plein hiver austral, dans des températures avoisinant les -20°C. C’est-à-dire dans les pires conditions qui soient ! Plusieurs particularités leurs permettent de lutter contre le froid :
- Leur plumage épais, double-couche, est imperméable et coupe-vent. Il emprisonne de l’air qui intervient pour environ 80% dans leur isolation thermique ;
- Leur grande taille diminue la déperdition de chaleur relative (rapport surface/volume plus faible que pour un animal de petite taille);
- La couleur noire de leur plumage (face dorsale) absorbe les rayonnements du soleil ;
- Une épaisse couche de gras augmente l’isolation, notamment dans l’eau froide ;
- Un système d’échange complexe au niveau des cavités nasales leur permet de récupérer 80% de la chaleur dégagée par la respiration ;
- Le frisson et le fait de serrer les ailerons contre leur corps leur permet de générer un peu plus de chaleur ;
- Ils sont capables de faire reposer l’ensemble de leur poids sur leurs talons, en se tenant en équilibre avec leur queue, ce qui réduit la surface en contact avec la glace...

Mais cela ne suffit pas. Quand le blizzard se lève et/ou que les températures descendent trop bas, les manchots se regroupent donc en formations serrées (contenant jusqu’à 9 manchots au m²), appelées « tortues », en rapport avec les formations militaires romaines. Ainsi serrés les uns contre les autres, ils peuvent lutter contre les éléments, les seules surfaces d’échange de chaleur avec l’extérieur étant alors la tête, la nuque et les pieds. Cette thermorégulation sociale est essentielle à leur survie, leur permettant de diminuer leur dépense énergétique de 25% : un manchot isolé ne pourrait pas survivre à l’hiver austral. A l’intérieur d’une tortue, les températures avoisinent les 37°C. A de telles températures, ces oiseaux ont trop chaud, leur température idéale étant de -10°C. Un mouvement se créé donc entre les animaux situés en périphérie (plus exposés au froid), et ceux situés au centre. Et quand la température monte trop, hop, la tortue se disloque, et les animaux s’écartent les uns des autres en battant des ailerons.
Une tortue dure ainsi environ 1h30 à 2h.

La colonie d’empereurs dans le blizzard (on aperçoit l’île des Pétrels et la base en arrière-plan)

Détail de tortue

C’est avec émotion que j’avais vu ma première tortue, en avril. On nous en avait tellement parlé de ces tortues ! Quand le blizzard se lève et que les empereurs se serrent les uns contre les autres, grelottant sur la banquise à les observer, je m’imagine au milieu d’eux, bien au chaud…

Une tortue vue du dessus

Et pour finir, voici l’idée reçue n°4 : sur une base polaire, on mange essentiellement des conserves.

Beaucoup de personnes m’interrogent sur ce que nous mangeons ici, me demandent si je ne me lasse pas des conserves… A croire que nous nous nourrissons de pâtes et de raviolis, tels des étudiants fauchés ! Eh bien non, nous mangeons très bien. Et c’est à mon sens fondamental, la nourriture étant un facteur de bien être évident.

Le cuisinier, Gurvan, nous prépare des repas variés et équilibrés. Et c’est qu’il est doué notre cuisinier ! Certes, il est parfois limité par les stocks de nourriture. Ainsi nous mangeons beaucoup de chou, de pommes de terre et de pâtes, car il y en a un stock énorme, et assez peu d'autres légumes. Mais notre chef cuisine tout cela si bien que ça n’en est pas pesant. Lors d’occasions spéciales (Noël, nouvel an, anniversaires, dimanche…) nous profitons parfois de repas dignes de très bons restaurants ! Du saumon fumé, du magret, du canard à l’orange…

Nous bénéficions encore de pommes, pomelos et oranges. Les autres fruits frais apportés par l’Astrolabe (bananes, ananas, mangues, brugnons…) n’ont pas tenu jusque là. Les derniers yaourts commerciaux ayant été mangés récemment, des yaourts sont réalisés ici, une fois par semaine. Notre boulanger-pâtissier nous prépare chaque jour du pain et des desserts variés, ainsi que, de temps à autre, des pains spéciaux et des viennoiseries. Lors de soirées à thèmes, certains hivernants s’improvisent parfois cuisinier, nous préparant des galettes à la demande, par exemple…

La nourriture est stockée dans deux bâtiments servant de frigo (le « +4 ») et de congélateur (le « -20 »). Le frigo doit être chauffé, ce qui est plutôt drôle quand on y pense… Même quand nous rentrons dans le -20, nous avons presque une sensation de chaleur, car nous y sommes coupés du vent.

Une fois par semaine, le samedi, il y a « manip vivre ». Chacun est mis à contribution pour sortir des deux magasins la nourriture qui sera utilisée pour la semaine à venir. Nous constituons une chaîne, et tout est rangé près de la cuisine. On essaie de deviner les menus de la semaine à venir, on s’interroge sur le contenu de tel ou tel carton, on se chamaille, et le tout se termine souvent en bataille de boules de neige…

Quand nous souhaitons partir à la journée, nous préparons des pique-niques. Le reste du temps, les repas se prennent en commun. Durant la campagne d’été, nous nous installions autour de plusieurs tables de 6 personnes. Pendant l’hivernage, nous avons choisi une disposition avec une grande table de 26, pour que cela soit plus convivial et pour éviter de favoriser la formation de « groupes ». Certains trouvent que l’on mange beaucoup et ne viennent pas à chaque repas. En ce qui me concerne, j’estime qu’il s’agit d’un moment d’échange important, donc j’en rate rarement.

Voilà pour les repas ! Vous voyez, rien à voir avec la « cantine » !

Le frigo +4 vu de l’extérieur

L’intérieur du +4

8 mai 2010

Pâques en mai !

Avant toute chose, voici la grande info de la semaine : le premier œuf d’empereur a été aperçu le 3 mai ! J’ai pour ma part vu mon premier œuf, avec beaucoup d’émotion, le 4 mai. Un mâle se déplaçant sur les talons, avec précaution, regardant de temps en temps son œuf, comme pour vérifier qu’il est toujours bien là. Pour l’instant, peu nombreux sont les animaux qui ont pondu. La plupart en sont encore au stade des copulations.

Copulation d’empereurs

Couple d’empereurs en « face à face »

La manchotière devient donc calme, car une fois les couples formés, c’est le silence jusqu’à la ponte. En effet, quand les empereurs sont en couple, lorsque le mâle continue de chanter, sa femelle lui donne des coups de becs ; car le chant attire les femelles restées célibataires et elles viennent faire la cour au mâle chanteur (les femelles étant 10% plus nombreuses que les mâles). L’ensemble aboutit souvent à une séparation du couple, et à un échec de reproduction.

Empereur s’apprêtant à chanter (celui de droite)

La densité en empereurs est grande par endroit

Pour pondre, le couple s’isole du groupe. Dès que l’œuf est pondu, la femelle le met sur ses pattes, il est protégé par sa poche incubatrice, bourrelet de peau situé en bas de l’abdomen. Elle passe ensuite rapidement l’œuf au mâle, et moins de 4 heures après la ponte, elle quitte la colonie pour aller se nourrir en mer, durant environ 2 mois.

Avant le départ de la femelle, les couples se remettent à chanter, ce qui les aide à bien mémoriser le chant de leur partenaire. Les mâles vont ensuite assurer seuls l’essentiel de l’incubation, qui dure 60 à 65 jours. Les femelles ne reviendront qu’aux alentours des éclosions. Les mâles empereurs jeûnent donc entre 90 et 130 jours (de leur arrivée sur la colonie au voyage alimentaire qui suit le retour de la femelle), et passent de 35-45 kg en début de saison à près de 25 kg au retour de la femelle.

Détail du cou d’un empereur



Certains d’entre vous m’ont demandé ce que voulait dire « catabatique ».
Il s’agit d’un vent froid et fort, qui dévale les pentes du continent.
Il est difficile à prévoir, les météos pouvant seulement prévoir les journées « à risque de catabatique ». Quand à savoir si le catabatique se déclenchera ou non… c’est la surprise ! On le voit parfois arriver du continent, soulevant des tourbillons de neige sur son passage. En quelques minutes il peut être sur la base, souffler à plus de 100 km/h, soulever de la neige et rendre la visibilité quasiment nulle. Et d’un seul coup, c’est fini, le ciel bleu est de nouveau visible et le vent a disparu. Etrange, ce catabatique !

Etrange soulèvement de glace au milieu de la banquise

Notre banquise peine toujours à s’étendre. Les fréquents coups de vent rendent les polynies (zones d’eau libre au milieu de la banquise) très proches, au large du Lion. Le mauvais temps de ces derniers jours a encore rapproché la polynie de la base... Le glacier s’effondre de temps en temps, fragilisant la bande de banquise qui le borde. Les longues sorties à la journée ne sont pas pour tout de suite… Tant pis, nous en profitons pour passer du temps à observer les empereurs !

La base vue du Nunatak

Je réalise que j’avais omis de vous parler d’un évènement important, qui a eu lieu début février, mais qui est toujours d’actualité. Il s’agit de la rupture de la langue du glacier du Mertz (situé à environ 200 km à l’est de DDU). En effet, toute une zone du glacier s’avançant vers la mer a été percutée début février par l’énorme iceberg B-9B. Ceci a entraîné fin février le détachement d’un morceau du glacier, de 78 km de long et 39 km de large. Ce gigantesque iceberg de 2500 km² (la taille du Luxembourg) a été nommé C-28 et se déplace maintenant au large des côtes antarctiques. Il est maintenant situé à peu près à notre niveau, mais un peu trop loin pour qu’on puisse le voir de l’altitude où est située la base. Cet évènement risque de modifier considérablement l’écosystème marin de cette zone, en changeant l’étendue et la localisation de certaines polynies permanentes, qui jouent un rôle dans la circulation de l’eau de mer.

Après 6 mois passés ici, et plus de 2 mois d’hivernage, l’heure est au bilan. Depuis mon arrivée ici fin octobre, il s’en est passé des choses.

J’ai rencontré beaucoup de gens. J’ai découvert de nombreux animaux, appris énormément sur un monde qui m’était inconnu, arpenté la banquise… J’ai compris des subtilités de la vie en collectivité, essayé de réfléchir un peu plus avant de parler … Une chose est sûre, je ne me suis à aucun moment ennuyée, et je n’ai pas une seule seconde regretté d’être ici. Même si, forcément, il y a des hauts et des bas. Des moments où les tropiques, les copains, la famille, des tas de choses me manquent. Mais cette expérience est si extraordinaire que les hauts l’emportent largement sur les bas. J’ai longtemps rêvé la nuit que je ne pouvais pas hiverner à cause d’un problème quelconque. Mais c’est fini, la nuit je rêve de plus en plus de la vie ici, et de moins en moins de ma vie d’avant.

Au moment où je vous écris, je suis blottie dans mon lit, le vent souffle à plus de 100 km/h et fait trembler ma chambre. Demain j’irai voir les empereurs, je resterai à les observer jusqu’à ce que le froid devienne trop piquant. Je regarderai le soleil se coucher sur les bergs, puis je rentrerai au chaud, retrouver les autres hivernants autour d’un thé. On discutera de la vie de la base, on sortira peut-être le soir observer une aurore, et on s’endormira sur une des terres les plus extraordinaires qui soit.

Alors oui, 6 mois ont passé, seulement 9 petits mois me séparent du retour, mais ceci représente encore un paquet de balades, couchers de soleil, sorties sur le terrain et soirées animées. Que la fête continue !

Lever de lune sur la manchotière

Idée reçue n°3 : l’Antarctique, c’est la banquise.

Cette idée reçue provient encore une fois de la confusion avec ce qui se passe au nord, en Arctique. En effet, l’Antarctique est bel et bien un continent, entouré par l’Océan Austral. Sa surface est d’environ 12,5 millions de km², et la roche apparente ne représente que 2% de cette surface. Ce continent est recouvert de glace, appelée inlandsis, qui lui confère au total une superficie de 14 millions de km². Bon, ces chiffres ne parlent pas à grand monde, alors disons que cela représente 26 fois la superficie de la France métropolitaine.

Il s’agit du continent le plus élevé du monde, avec une altitude moyenne d’environ 2,3 km. La chaîne de montagne Transantarctique, d’environ 3000 km de long, délimite les parties ouest et est de l’inlandsis.

L’inlandsis se prolonge dans certains secteurs par d’immenses plateformes (ice-shelf) qui s’étalent et flottent sur l’Océan Austral.

Les 3 plus importantes sont celles d'Amery, de Ronne et de Ross, dont la superficie est voisine de celle de la France. Les ice-shelves se fragmentent parfois en blocs, qui constituent des icebergs tabulaires, parfois gigantesques. Dans la péninsule Antarctique, région la plus au nord du continent et quasiment seule partie s’étendant au-delà du cercle polaire, se trouvent la plupart des zones non glacées du continent.

L’épaisseur moyenne de l’inlandsis est de 1300 m en Antarctique de l’ouest, et 2200 m à l’est. Son épaisseur maximale approche les 5000 m, la base étant alors à plus de 2500 m sous le niveau de la mer. Les chutes de neige sont surtout importantes sur les zones côtières, les précipitations du continent étant inférieures de moitié à celles reçues par les déserts les plus arides. La neige s’accumule tous les ans, se transforme en glace compacte, qui va sous l’effet de la gravité glisser du centre de la calotte vers la périphérie du continent. Au centre de l’inlandsis, ces déplacements ne sont que de quelques dizaines de centimètres par an, mais ils peuvent atteindre la centaine de mètres par an pour les grands glaciers côtiers.

Chaque hiver, l’océan situé autour du continent gèle, constituant une banquise temporaire de 40 à 60 cm d’épaisseur moyenne, qui ne sera totalement disloquée qu’en février, à la fin de l’été austral. L’eau de mer commence à geler en surface à partir de -1.8°C. Au maximum de son extension en septembre, la surface de la banquise double la surface englacée de l’hémisphère sud.

Voilà, donc l’Antarctique est entouré de banquise temporaire, mais c’est avant tout un continent !

Pour ceux qui me demandent si je n’ai pas trop froid, voilà la preuve que nous sommes bien équipés…