31 oct. 2010

Il pleure dans nos cœurs

Difficile d’écrire sur un blog en de telles circonstances, quand beaucoup de choses semblent tellement dérisoires. Mais face à l’avalanche de mails, voici quelques lignes pour rassurer les proches des hivernants, et vous remercier pour votre soutien.

Je ne reviendrai pas sur l’accident d’hélicoptère dramatique survenu jeudi dernier lors d’un trajet Astrolabe - DDU. Toutes mes pensées vont à nos quatre collègues et à leurs familles.

L’Astrolabe a maintenant fait demi-tour et rentre sur Hobart. Rien n’a été déchargé, seule une personne a rejoint DDU, et trois autres Prud’Homme. L’hivernage continue quelques semaines, désormais à 30. Un avion devrait arriver aux alentours du 15 novembre.

Merci à tous pour tous les petits messages que nous recevons, soutien précieux.

Sous nos fenêtres, la vie continue et les Adélie construisent leur nid, caillou après caillou.

23 oct. 2010

La boucle est bouclée…

Eh oui, d’ici quelques jours (le 30 octobre précisément), cela fera un an que j’ai posé le pied sur l’île des Pétrels. Un an de découvertes, un cycle reproducteur complet pour toutes les espèces que l’on rencontre ici, 365 jours de balades, de vent et de neige… Un an de bonheur, pour résumer.

L’Astrolabe est parti de Hobart le 21 octobre, a passé les 50e rugissants, et devrait être bloqué dans le pack aux environs du 29 octobre, comme l’année dernière. Il nous amène des campagnards d’été, nouvelles têtes ou habitués, certains membres de la TA61, mais également du courrier (nos premières lettres depuis plus de 8 mois !), et des fruits et légumes frais. Nous salivons de plaisir à l’idée de bientôt déguster abricots, bananes et tomates.

A quelques jours de l’arrivée du bateau, nous sommes pour la plupart partagés … D'un côté, nous sommes contents de cet évènement : cela renouvellera un peu les conversations, soulagera les tensions qu’il peut y avoir, mettra de l’animation, de la nouveauté… Mais cela signe aussi la fin de notre hivernage, cette aventure dont nous rêvions tous. Me voilà presque déjà nostalgique ! Mais je me suis faite une promesse :
accueillir les nouveaux arrivants comme il se doit, et ne pas leur donner l’impression, comme on nous l’a donnée l’année dernière, d’être des       « envahisseurs ». Dès leur arrivée, ils seront ici chez eux.

La « vallée oubliée », passage chaotique entre deux bergs du glacier

Jolis reliefs sur la banquise

Cela faisait quelques temps que je ne vous avais pas écrit… Mais il faut dire qu’il s’est passé beaucoup de choses ces dernières semaines. Je commence à reprendre un rythme de travail estival, j’ai donc beaucoup plus de travail, et moins de temps libre. Il y a eu aussi plusieurs sorties très intéressantes : un concours de « pêche scientifique », le comptage des phoques présents sur l’archipel, une balade sur le continent jusqu’à D10 (lieu de la piste d’atterrissage), le transpondage des bébés phoques…

La banquise par catabatique

Les stars du début de ce mois d’octobre étaient donc les phoques de Weddell. Pour répondre aux questions de certain(e)s, ici les bébés phoques ne sont pas blancs… Ils tirent sur le jaune à la naissance, puis deviennent rapidement gris. Ce sont les phoques du Groenland (au nord donc), qui ont des petits de couleur blanche (les blanchons).


Les phoques baillent souvent… S’ennuieraient-ils ?

Les bébés phoques grandissent à une vitesse folle… en même temps que leur mère fond ! Elle perd en effet 2 kg pour chaque kg gagné par leur petit… Nous avons la chance cette année d’avoir sur l’archipel une femelle qui a des jumeaux. Il est rare que deux petits puissent être élevés par leur mère jusqu’au sevrage… Les nôtres sont pour l’instant en plein forme, et nous croisons les doigts…

Weddell et sa maman, le père n’intervenant pas dans l’élevage du petit



Nos jumeaux, prénommés « Bonnie and Clyde »


Vous ne trouvez pas que ce phoque à une tête curieuse ? C’est parce qu’il s’agit d’un phoque crabier. Beaucoup moins sympa que le phoque de Weddell (il montre facilement les dents en grognant), il ne se reproduit pas sur l’archipel

Mais les phoques, les phoques… Cela ne va quand-même pas nous faire oublier les manchots empereurs ! Les poussins grandissent tranquillement… Ils sont toujours la proie des pétrels géants, et les plus petits n’ont pas survécus aux tempêtes de septembre-octobre. Dure la vie de poussin empereur ! La colonie change régulièrement de place, et le groupe est de moins en moins dense, les animaux s’espacent davantage. Il arrive maintenant que les deux parents soient tous les deux partis se nourrir, laissant leur poussin à la manchotière. Les trous de phoque permettent aux adultes d’éviter de faire des dizaines de kilomètres avant de regagner la mer. Il n’est donc pas rare de voir un groupe de manchots à côté de plusieurs phoques.


Après une tempête

Pétrel mangeant un poussin pendant une tempête…



Manchots et phoques utilisant le même trou dans la banquise

Et tous les « estivaux », partis avant l’hiver, que deviennent-ils ? Eh bien, depuis quelques jours ils arrivent, nos amis pétrels et Adélie… Les skuas sont déjà quelques uns à traîner autour de la manchotière, faisant peur aux poussins… Il faut dire qu’à l’inverse des pétrels géants, ils sont suffisamment légers et habiles pour venir se poser au milieu des poussins. Alors forcément, ils sèment la zizanie… Quelques fulmars planent déjà au-dessus de leur falaise. Un couple de damier du Cap occupe un nid dans les rochers. Quelques pétrels des neiges auraient été aperçus, mais ils se font pour le moment discrets. Enfin, les manchots Adélie sont de retour depuis quelques jours. Ils sont encore peu nombreux, mais leur effectif devrait augmenter de façon exponentielle dans les jours à venir. Les premiers arrivants sont amusants : tous seuls sur leur colonie, ils en profitent pour aller prendre tous les cailloux du coin et faire d’énormes nids. Hier, j’ai commencé à les entendre crier et ça m’a fait un drôle d’effet, comme une impression de déjà vu…

Les premiers Adélie de la saison, derrière la manchotière

Idée reçue n°14 : Il faut être fou pour vouloir hiverner, ne pas aimer les gens ou fuir quelque chose en France…

Ces questions, je les ai entendues plusieurs fois avant de partir… « Qu’est ce que tu fuis ? » « Tu détestes tant que ça les gens pour vouloir partir aussi loin de la société ? » La question étant en général accompagnée d’un regard suspicieux du genre : « Mais quel est ton problème ? ».

A quelques jours de la fin de l’hivernage, je peux vous garantir que pour hiverner, il faut encore plus qu’ailleurs aimer les gens. Si dans la vie « ordinaire », il est facile de vivre isolé, en ne voyant pas grand monde, ici c’est tout simplement impossible. Nos 25 camarades, nous les voyons tous les jours, pendant 1 an. On ne mange pas seul, on ne peut pas sortir seul (ou alors pas bien loin), même quand on se brosse les dents on n’est pas seul. Alors quelqu’un d’asocial serait très malheureux ici. Les hivernants sont pour la plupart des personnes très sociables, équilibrées et tolérantes. Nous avons une famille, des amis, certains sont mariés ou ont des enfants. Nous acceptons juste de mettre entre parenthèses notre vie « ordinaire » pendant un peu plus d’un an, pour vivre notre rêve.

Chacun a ses raisons pour venir ici. La plupart des VCAT (comme moi) viennent en premier lieu pour l’Antarctique, pour découvrir cet environnement extraordinaire. Certains en rêvent depuis des années.

D’autres viennent principalement pour l’expérience humaine. Certains pour le travail. Quelques rares personnes viennent pour des raisons financières. Mais une chose est sûre, celui qui vient pour fuir quelque chose risque de mal vivre son hivernage, et de retrouver ses problèmes en rentrant.

Enfin, cette idée reçue là, j’aurai du mal à la faire changer, car les personnes qui font ce genre de remarques ne sont pas celles qui s’intéressent suffisamment à l’Antarctique pour suivre ce blog !


4 oct. 2010

L’hiver se termine…

Hélas, tout a une fin, même l’hiver adélien… Finis les records de températures, finies les splendides aurores, finie la nuit omniprésente !

Les beaux jours sont de retour… Certes les températures restent un peu fraiches, mais nous sommes maintenant le plus souvent au-dessus de la barre des -20°C, et parfois même au-dessus des -15°C. En revanche, nous avons encore eu quelques beaux épisodes de catabatique dernièrement…

Les jours de catabatique, les lumières au couchant sont particulièrement belles

Il y a comme un petit goût de printemps sur la base… Il fait maintenant encore jour au moment de se mettre à table le soir, le soleil se lève trop tôt pour qu’on puisse voir les levers de soleil, je ressors mes vêtements d’été. Les raquettes ont été rangées, la neige ayant bien durci après les derniers coups de vent. Les échanges avec nos successeurs s’intensifient, nous commençons à préparer les manips de la campagne d’été…

Le magnifique « berg arche », avec ses trois arches

Les longues journées nous permettent de réaliser de grandes balades. J’ai ainsi pu aller dernièrement aux Iles Fram, situées à 7-8 km de la base, ainsi qu’au Cap Odile et au Cap Géodésie, situés tous deux le long du continent. Notre banquise est bien belle, nous parcourons avec facilité de bonnes distances, rien à voir avec la période pendant laquelle nous nous enfoncions jusqu’aux cuisses et où chaque kilomètre était durement gagné.

Jeux d’ombres et de lumière

Les poussins empereurs continuent leur rapide croissance. Certains sont encore tout petits et font la moitié de la taille des poussins les plus grands. Aux alentours de la manchotière, il y a maintenant un va et vient incessant d’adultes partant se nourrir en mer ou revenant sur la colonie… Lors des tempêtes, les adultes se rassemblent encore parfois en tortue, mais de plus en plus rarement. Les poussins eux-aussi s’organisent en formations serrées, pour lutter contre le vent… Et une fois la tempête finie, ils sont tout englacés !

La manchotière est depuis quelques semaines située tout contre la piste du Lion

Il y a deux semaines, quelques poussins tout justes émancipés

Crèche de poussins

Il est amusant d’observer les poussins suivre les adultes

Lors des tempêtes, poussins et adultes se tiennent serrés, dans des groupes séparés

Poussins luttant contre le vent

Certains adultes avançant dans la tempête avec leurs poussins non émancipés, qui forment de vraies boules de neige

Après les tempêtes, les poussins se retrouvent tout englacés

Le mauvais temps n’empêche pas les couples de chanter avec leur poussin


Après la tempête… le beau temps !

Et voilà maintenant une grande nouvelle : les premiers bébés phoques de Weddell sont nés ! En effet, depuis quelques jours, les phoques étaient revenus en nombre dans l’archipel… Même les phoques crabiers, des occasionnels, devenaient fréquents, 29 ayant été vus au même endroit.

Au cours des balades, il était donc devenu courant de croiser des phoques… Et à chaque fois, le suspens : mâle ou femelle ? Gestante ou non ?

N’y-a-t-il pas un petit de caché derrière l’énorme adulte ? C’était à celui qui verrait le premier bébé phoque, les paris sur la date de la première naissance étant lancés...

Le premier petit a finalement été aperçu derrière l’île Bernard, assez proche de la base, le 30 septembre. Immédiatement, nous sommes allés à une dizaine confirmer l’information, en restant à bonne distance pour ne pas déranger la maman et le petit. Certes il n’était pas si beau que ça (après quelques jours, ils deviennent beaucoup plus mignons), mais nous étions tous très émus. En quelques jours, les naissances sont ensuite devenues nombreuses…

Le premier bébé phoque que nous avons aperçu, âgé d’à peine un jour

Idée reçue n°13 : hiverner, c’est plus difficile pour une femme que pour un homme.
Celle-là en fera certainement sourire plus d’un. Eh bien figurez-vous qu’il n’y a pas si longtemps, c’était effectivement le cas… Pourquoi ? Car les femmes n’avaient pas le droit d’hiverner à DDU !

Paraît-il qu’une femme, ça sème la zizanie… Les premières femmes à hiverner à DDU furent une météo et une gérante postale, à la TA50, c’est-à-dire en 2000 (autant dire hier…). Depuis cette date, il y a chaque année quelques femmes qui hivernent à DDU : 3 à la TA58, 9 à la TA59, 6 à la TA60, et elles seront 5 à la TA61. Les hivernants biologistes présentent en général une grande proportion de femmes (3 sur 4 l’année passée, 3 cette année, 4 l’année prochaine). Le chef de district est également une femme depuis bientôt 3 ans (TA59, 60 et bientôt 61).

L’avis des « anciens », ceux qui ont hiverné « avant », est mitigé… Certains sont bien contents de n’avoir hiverné qu’avec des hommes « ah non, une femme en hivernage, c’est le début des embêtements ! ». D’autres n’auraient pas été contre une présence féminine, qui aurait sans doute amené un peu de « légèreté » dans les conversations.

Enfin, maintenant que les femmes sont autorisées et que leur présence est rentrée dans les mœurs, hiverner n’est ni plus ni moins difficile pour une femme que pour un homme… C’est sûr que talons et maquillage restent en métropole, mais on ne se transforme pas en homme pour autant. Et face au froid ou au vent, nous sommes tous logés à la même enseigne… Alors, pas la peine de nous regarder avec de grands yeux et de nous dire, comme je l’ai entendu au cocktail de l’alliance française à Hobart : « Une femme qui hiverne ? Voilà qui est surprenant. Bravo, ça ne doit pas être facile ! ». Que nenni, femme ou homme, l’Antarctique s’en moque bien… Alors mesdames, voilà qui vous donne envie d’hiverner ?